«Elegido, por quién?» Artículo del investigador Joris Willems sobre las elecciones en Haití

714

En 2015 des élections ont finalement été organisées en Haïti. Le processus électoral, ayant accumulé 4 ans de retard sur l’agenda constitutionnel, s’annonçait très difficile. Pas moins de 5 scrutins devaient être organisés en parallèle. Le premier, réalisé le 9 août, fut entaché de violences et annulé dans plusieurs circonscriptions. Au niveau national pas moins de 18 % des procès verbaux (PV) ont été perdus. Si le deuxième scrutin, du 25 octobre, s’est déroulé dans un calme relatif, des accusations d’irrégularités majeures et de fraudes massives ont fini par forcer à la création d’une Commission d’Évaluation Électorale Indépendante (CEEI).

Le rapport de la CEEI, certes rédigé avec une acrobatie sémantique remarquable, est néanmoins clair sur certains points : « Les témoignages recueillis sont unanimes à reconnaître que les élections du 25 octobre 2015 étaient entachées d’irrégularités, et que plusieurs candidats ont bénéficié de la part de leurs représentants aux [Bureaux Votes (BV)] de ces irrégularités assimilables à des fraudes [1] ». La Commission relève que seuls 8 % des PV ne présentent aucune des irrégularités graves et que 46 % en présentent 3 ou plus.

Comme si de rien n’était, le troisième tour de scrutin – et deuxième tour des présidentielles – est annoncé par les autorités haïtiennes pour ce 24 janvier. Pour les amis d’Haïti – c’est à dire la communauté internationale – c’est « un pas dans la bonne direction » [2]. Le chef observateur adjoint de l’UE, José Antonio De Gabriel s’est vu conforté par le rapport de la CEEI : “dans l’immense majorité, comme nous l’avons prouvé lors de notre vérification, ce sont des erreurs facilement interprétables à la lumière des PV eux-mêmes et qui parlent parfois de fatigue, de manque de motivation ou de manque de formation [3]”.

Minimiser les irrégularités

La vérification faite par la Mission d’Observation Électorale de l’Union Européenne (MOE UE) à laquelle se réfère M. De Gabriel, analyse le traitement de 78 PV par le Bureau du Contentieux Électoral National (BCEN) [4]. Suite au rapport de la MOE UE on voit qu’effectivement le BCEN a, dans certains cas du moins, été très sévère dans son jugement des PV traités. Mais le rapport de l’UE montre aussi tout autre chose : une permissivité extrême de la MOE UE par rapport aux irrégularités constatées par le BCEN. Si pour le BCEN tous les PV devaient être sanctionnés, pour l’UE seulement 3 PV présentent des indications de fraudes [5].

Le rapport de la MOE UE est devenu une référence importante pour les protagonistes de l’avancement du processus électoral. Le président Martelly et l’ambassadeur Américain Peter Mulrean se réfèrent au rapport pour appuyer leur argumentaire qu’ils n’ont « pas vu de preuves des fraudes massives [6] ». Regardons donc de plus près ce que la MOE UE décrit comme « des erreurs facilement interprétables » en entrant dans le détail de leur rapport [7].

Un peu de bonne volonté

Commençons avec les irrégularités qu’on pourrait considérer comme mineures. Ainsi on pourrait dire que certaines ratures ont été le résultat d’une simple erreur humaine en remplissant le PV. Le manque de zéros pour les candidats n’ayant pas obtenu de voix paraît aussi « pardonnable ». L’absence d’un nom ou d’une signature d’un MBV ou mandataire pourrait être accepté si d’autres irrégularités ne sont pas constatés lors d’une vérification du PV et ses documents supplémentaires (on y revient).

Pour d’autres irrégularités on peut déterminer un seuil sur ce qui peut être attribué à des erreurs humaines. Ainsi, une différence de 3 entre, d’un côté, les bulletins reçus à l’ouverture et, de l’autre, ceux restants à la fin, paraît acceptable, comme le manque de 2 signatures des électeurs dans la Liste Électorale Partielle (LEP). Ces erreurs paraissent – avec un peu de bonne volonté – « pardonnables » et le BCEN a sur ces cas été très sévère en les sanctionnant tous. Pourtant, appliquant ces critères, on n’identifie que 27 cas « pardonnables » ce qui est loin des 73 de la Mission de l’UE.

« Données non-essentielles »

Tout d’abord il est étrange de voir un organisme d’observation étranger déclarer que certaines données sont « non-essentielles » bien que le décret électoral exige qu’elles figurent dans les PV.
Le nombre de bulletins reçus a l’ouverture et ceux qui restent à la fermeture sont effectivement essentielles pour un contrôle du PV et déterminer l’importance de l’écart. On ne peut donc pas appeler ces données « non-essentielles ».

Pour vérifier si effectivement l’accusation grave de votes multiples par les mandataires politiques est vraie, une accusation corroborée par de nombreuses observations faites, deux données doivent être comparées. Selon le décret électoral chaque électeur doit mettre son numéro de CIN (Carte d’Identification Nationale) et signer la LEP, les mandataires votent en dehors de la LEP sur une liste additionnelle. La différence entre la quantité d’électeurs ayant votés à travers la LEP et les votes exprimés dans un BV, devrait donc correspondre à la quantité de personnes ayant votés sur la liste additionnelle. Il va de soi que la LEP et cette liste additionnelle sont essentielles à cette vérification. Pourtant, ni l’absence de la LEP, ni celle de la liste additionnelle pose un problème pour la MOE UE. Remarquons que selon la CEEI la liste additionnelle était absente dans 60 % (!) des PV vérifiés.

Dans d’autres cas, contrairement aux prescrits du Conseil Électoral Provisoire (CEP) [8], des PV contiennent la preuve de la présence d’au moins deux mandataires d’un même parti politique dans les BV, ou celle de la présence d’une organisation d’observation qui avait été interdite parce qu’elle vendait ses accréditations. En fait, aucune des deux infractions n’est suspecte pour la Mission de l’UE, même pas si un même candidat avait été déclaré gagnant dans les BV respectifs avec près ou plus de 50 % des votes.

Une autre irrégularité sérieuse est l’absence d’un ou de plusieurs des signatures des MBV. Il est vrai que ceci peut être un oubli pardonnable, mais il peut y avoir des raisons fondées aussi pour lesquelles un MBV ait décidé de ne pas signer. Cette irrégularité devrait – selon nous – être un critère pour vérifier le PV et les autres documents plus en détail. Dans un cas, non seulement deux des trois signatures manquaient, mais également deux des trois CIN des MBV. La MOE UE n’y voit pas un problème.

En conclusion

Il est clair que si pour la Mission de l’UE seulement 3 PV sur 76 montraient des indications de fraudes, elle a été très permissive dans l’acceptation d’irrégularités sérieuses. L’impossibilité d’aller vérifier si oui ou non des tentatives de fraudes ont été faites – du simple fait que des documents et/ou données essentielles sont absents – semble suffire à la MOE UE pour écarter l’éventualité de fraudes. Selon notre vérification pas moins de 25 PV auraient du être sanctionnés, 24 autres nécessitent des données supplémentaires pour une vérification approfondie et seulement 27 auraient pu être – avec un peu de bonne volonté – pardonnés. Certaines des mêmes irrégularités que la MOE UE qualifie de simples erreurs humaines, ont d’ailleurs été catégorisées « graves » par la CEEI. Paradoxalement, la Mission semble voir dans ce dernier rapport la confirmation de leur propre vérification.

Beaucoup de questions s’imposent. L’une d’entre elles est de savoir si cette permissivité – souvent extrême – par rapport aux irrégularités graves vient d’une mauvaise compréhension du processus et du contexte, ou bien de l’intention de minimiser des problèmes bien réels afin de boucler un processus électoral pourri. Rappelons que selon la CEEI 46 % des PV montraient au moins 3 des irrégularités graves. Pourquoi forcer ce processus à aller de l’avant tout en sachant pertinemment que la légitimité des élus en souffrira ? A quoi bon organiser encore des élections si même le candidat sorti deuxième de la course à la présidence refuse de participer dans ces conditions ?

L’heure est plus que venue pour nous, observateurs étrangers, d’arrêter d’agir comme les cautions d’un processus électoral pourri et d’un CEP décrédibilisé qui veut faire passer un président choisi par quelques uns, pour un président élu. Élu par qui ?

………….

*Étudiant doctoral à l’Université de Gent (Belgique)
Observateur électoral pour (JILAP)

[1Commission D’Évaluation Électorale Indépendante ; Rapport de la Mission ; (2 janvier 2016) ; p.10 – http://www.miamiherald.com/latest-news/article52903885.ece/BINARY/Read%20the%20report%20on%20Haiti’s%20Oct.%2025%20presidential%20elections%20%28French%29

[3“L’Union européenne sur la même longueur d’onde que la Commission d’évaluation”, Le Nouvelliste, 4 janvier 2016 – http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/154145/LUnion-europeenne-sur-la-meme-logueur-donde-que-la-Commission-devaluation

[5Notons que parmi les 78 PV analyses par le BCEN, deux avaient déjà été mise a l’écart par le Centre de Tabulation de Votes (CTV). Les 3 PV qui selon la MOE UE contiennent des indications de fraudes, s’ajoutent a ces deux PV.

[7Une version plus détaillée de cette analyse est disponible sur : http://www.avec-papiers.be/Home/?p=2238

[8Règlements relatifs à l’accréditation des mandataires – http://www.cephaiti.ht/files/Liens_utiles/CEP_Reglements_mandataires.pdf – ce document exige d’un cote la rotation des mandataires politiques dans les bureaux de votes avec un maximum de 10 qui pouvait être présent dans un BV au même moment, et de l’autre qu’un seul mandataire politique par parti était admis par BV.

Alterpress